Il faut tout un écosystème pour donner à une femme les moyens d'agir

Par Daniel Ohonde, directeur général

Au cours de la dernière décennie, l'Afrique a réalisé des progrès significatifs en matière d'égalité des sexes et d'autonomisation des femmes dans certains domaines. Selon lerapport de 2015sur les objectifs du Millénaire pour le développement, l'Afrique subsaharienne a enregistré des progrès notables en matière d'accès des femmes à l'emploi rémunéré, la proportion de femmes parmi les travailleurs rémunérés en dehors du secteur agricole étant passée de 24 % à 34 % entre 1990 et 2015. Cependant, la région reste en deçà de la moyenne mondiale de 40 %, sans parler de la moyenne des pays développés, où 48 % des travailleurs rémunérés dans les emplois non agricoles sont des femmes. Bien que des progrès notables aient été accomplis pour réduire les inégalités entre les sexes et améliorer l'autonomisation des femmes dans la région africaine, les inégalités entre les sexes persistent dans tous les domaines, en particulier dans le secteur agricole.

L'agriculture en Afrique reste l'un des secteurs économiques les plus importants, représentant environ 25 % du PIB du continent. Malgré cela, en 2015, 41 % des habitants de l'Afrique subsaharienne - où la majorité de la population dépend de l'activité agricole pour sa subsistance - vivaient avec moins de 1,10 € par jour. Pour que l'agriculture africaine réalise son potentiel, les petits exploitants agricoles doivent être au cœur des investissements - et si l'on considère que près de 60 % des petits exploitants agricoles en Afrique sont des femmes, les programmes d'investissement doivent aborder l'agriculture sous l'angle de la parité hommes-femmes. Si les femmes bénéficient du même accès aux ressources productives que les hommes, elles pourront augmenter lesrendements de leurs exploitations de 20 à 30 % et réduire la faim de 12 à 17 %.

Engager les secteurs public et privé

Les efforts des gouvernements, des agences internationales et des organisations non gouvernementales (ONG) visant à engendrer la participation économique se sont souvent concentrés sur les droits du travail, laissant de côté des questions telles que l'esprit d'entreprise, l'accès aux capitaux et aux marchés, l'inclusion financière, les droits de propriété et la formation professionnelle. Les politiques gouvernementales affectent les économies par le biais de la réglementation, d'investissements ciblés et de l'influence des banques centrales. Lorsqu'un changement systémique est nécessaire, en particulier dans l'ensemble des secteurs d'activité, il n'y a pas d'impact significatif si les entreprises ne sont pas impliquées.

De même qu'il faut un village pour élever un enfant, il faut un écosystème pour autonomiser une femme. Toutes les institutions - tant publiques que privées - doivent s'investir dans cette tâche et la soutenir, car personne ne peut la mener à bien seul. Nous devons tous apprendre à travailler ensemble, en valorisant les contributions de chaque institution, tout en équilibrant les objectifs propres à chaque secteur.

L'African Enterprise Challenge Fund (AECF) partage la vision globale de l'autonomisation des femmes dans l'agriculture et s'engage à investir de manière à faire progresser durablement l'égalité des sexes. Notre engagement va au-delà des chiffres qui font la une des journaux et cherche à réorienter le processus d'investissement pour trouver, soutenir et développer des entreprises qui fournissent des solutions innovantes pour accroître l'égalité des sexes dans les communautés rurales au niveau des ménages, des entreprises et du marché. Lastratégie d'investissement del'AECF, baptisée "Gender Lens Investing Strategy", vise à intégrer une analyse de genre tout au long du processus d'investissement, à concevoir et à accueillir des mécanismes d'investissement inclusifs qui permettent un accès égal au financement pour les femmes entrepreneurs et les entreprises travaillant pour et avec les femmes, et à partager les enseignements tirés de ces expériences. Notre objectif est de mettre tout le monde sur un pied d'égalité afin de soutenir la participation économique égale des femmes et des hommes.

En garantissant la pleine participation des femmes en tant que productrices, consommatrices, propriétaires d'entreprises et décideurs clés, nous espérons créer une puissante force de changement.

Reconnaître le rôle des femmes dans la transformation de l'agriculture

En tant qu'institution de financement du développement de premier plan en Afrique, l'engagement de l'AECF en faveur de l'égalité des sexes ne consiste pas seulement à corriger un déséquilibre, mais aussi à modifier les systèmes financiers et les marchés, dans la mesure du possible, afin qu'ils signalent et influencent la manière dont les femmes et les hommes sont valorisés. Cet engagement découle de la volonté de ne jamais négliger le rôle que jouent les femmes et les hommes, en tant que contributeurs et innovateurs, dans le développement d'une Afrique rurale prospère et entreprenante. Notre approche du développement financier reconnaît que le marché n'a pas su reconnaître de manière égale la participation et le leadership des femmes et des hommes dans l'alimentation de cette transformation, et cherche à inverser les pratiques qui dévalorisent la vie des femmes.

Pour combler l'écart dans les dispositions du marché financier pour les femmes, l'AECF a lancé son initiative phare sur le genre, "Investir dans les femmes", un fonds de 50 millions de dollars américains (44 millions d'euros) qui vise à accroître les opportunités économiques pour les femmes dans les chaînes de valeur de l'agriculture et des énergies renouvelables en Afrique. Le projet pilote de 5,9 millions de dollars américains (5,2 millions d'euros), lancé en septembre 2018 et financé par le Royaume-Uni, appliquera l'expérience de l'AECF en matière d'investissement dans une optique de genre, en ciblant dans un premier temps le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, l'Éthiopie et la Sierra Leone. Le fonds comprendra également un prix monétaire pour l'intégration du genre en tant que nouvel outil pour encourager l'engagement en faveur du genre par les entreprises du secteur privé, en se concentrant initialement sur les entreprises du portefeuille d'investissement de l'AECF.